mercredi, août 13, 2025
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Visite du premier ministre Ousmane Sonko en Turquie : coopération économique entre promesses et stratégies

Présentée comme une avancée diplomatique et économique d’envergure, la visite du Premier ministre Ousmane Sonko en Turquie, du 6 au 11 août 2025, a débouché sur une pluie de promesses d’investissements. Entre entretiens avec le président Recep Tayyip Erdoğan, paraphe d’accords bilatéraux et forum économique, les annonces ont concerné l’énergie, le raffinage, le textile, le ciment et l’agriculture.

 

À Istanbul, le chef du gouvernement, Ousmane Sonko a enchaîné les audiences avec des capitaines d’industrie turcs, accompagnés de partenaires sénégalais. Au programme : Yamata Group pour la modernisation de la Société Africaine de Raffinage (SAR 2.0) via financement EPC+F ou partenariat public-privé; AVCI Global pour la création d’une usine textile intégrée pour uniformes militaires et civils; Calik Holding pour la construction d’une centrale électrique à cycle combiné au Cap des Biches et autres projets énergétiques ; Dakar Plâtres-Duygu Insaat pour une usine de ciment blanc et perspectives industrielles supplémentaires.

Derrière ces projets qui s’alignent sur la Vision Sénégal 2050 se pose une question centrale : moteur de souveraineté ou nouvel engrenage de dépendance ?

SAR 2.0 : Raffiner au Sénégal, mais à quel prix ?

La perspective de traiter le brut de Sangomar, de réaliser une économie annuelle estimée à 239 milliards FCFA et de développer une filière pétrochimique locale constitue un enjeu stratégique majeur. Toutefois, cette ambition s’accompagne de zones d’ombre : un investissement de plusieurs milliards de dollars, un risque d’endettement potentiellement élevé, la nécessité de sécuriser les clauses de contenu local et un transfert de compétences dont les modalités restent imprécises. Il est donc essentiel d’imposer un approvisionnement prioritaire du marché national à un prix compétitif afin d’éviter une exportation massive de la production au détriment de la consommation locale.

 Cap des Biches La centrale qui pourrait électriser… ou grever le budget

Le projet d’une centrale à cycle combiné de 300 MW pour stabiliser le réseau et mettre fin aux délestages est génial.
Mais, la dépendance au gaz dans un contexte mondial instable, risque d’électricité hors de prix, délais de livraison serrés (2026-2027) qui pourraient s’étirer.
Point de vigilance : intégrer davantage de solaire et d’éolien pour limiter la dépendance au gaz.

Afki Global-Textile : Emploi local ou mirage industriel ?

La création d’une usine intégrant le tissage, l’ennoblissement et la confection, avec un marché garanti vers la CEDEAO, constitue une ambition considérable. Toutefois, il convient de prendre en compte un environnement concurrentiel marqué par la forte présence des produits asiatiques, le déficit de main-d’œuvre qualifiée et le risque de voir une part importante des bénéfices rapatriée vers Ankara. Dans cette perspective, la vigilance s’impose, en particulier sur la mise en place de quotas d’emplois réservés aux Sénégalais, l’intégration de fournisseurs locaux et l’établissement de partenariats avec les écoles techniques nationales.

Ciment blanc: Le pari écologique à haut risque

La production locale de ciment blanc, destinée au marché haut de gamme et visant à réduire les importations, représente un atout économique certain. Toutefois, ce développement comporte des risques, notamment une forte consommation d’énergie, d’importantes émissions de CO₂ et l’absence de données publiques sur l’impact environnemental, sans oublier la menace potentielle pour la compétitivité des producteurs nationaux. Il convient donc de mettre en place des mesures d’atténuation environnementale et de garantir un partage équitable des bénéfices au sein de l’économie locale.

Tijem-Le maïs, de la ferme-école à l’autosuffisance ?

Le projet prévoit l’aménagement de 500 hectares pilotes équipés d’un système d’irrigation solaire et dédiés à la production de semences certifiées, dans l’objectif de réduire les 450 000 tonnes de maïs actuellement importées chaque année. Toutefois, son extension à 90 000 hectares exigerait des investissements considérables ainsi qu’une sécurisation rigoureuse du foncier. Il importe dès lors de préserver la souveraineté foncière nationale et de veiller à l’intégration effective des petits producteurs dans l’ensemble de la chaîne de valeur.

Un test grandeur nature pour la souveraineté économique

Ces projets répondent aux ambitions affichées de la Vision Sénégal 2050 : indépendance énergétique, transformation industrielle, capital humain, leadership régional. Mais leur succès dépendra de trois conditions non négociables sine qua non à la transparence totale des contrats; l’application stricte des clauses de contenu local; et le mécanisme de suivi public-privé robuste contre la corruption et les dérives.

La « fenêtre turque » peut propulser l’industrialisation sénégalaise… ou enfermer le pays dans un partenariat asymétrique estampillé Made in Turkey. La balle est désormais dans le camp de l’État, qui devra prouver qu’il sait négocier dur et placer l’intérêt national au-dessus des urgences diplomatiques.

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