Créée en 2017 pour relancer l’aviation nationale sur les cendres de Sénégal Airlines, la compagnie Air Sénégal traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Selon une enquête explosive du journal Le Témoin, un scandale financier de grande ampleur entoure l’achat de cinq avions inutilisés, pour un coût faramineux et une dette désormais estimée à plus de 120 milliards de francs CFA, malgré un soutien public massif de 181 milliards.
Au centre de la controverse : cinq appareils de type L410NG, fabriqués par la société tchèque Omnipol. Ces avions de 19 places, méconnus sur le marché aérien international, ont été acquis sous le régime de l’ancien président Macky Sall, puis cédés à Air Sénégal au franc symbolique. L’opération, habillée d’une réception officielle à grands frais — en présence notamment de l’ex-Premier ministre Sidiki Kaba — s’avère aujourd’hui un gouffre financier sans aucune valeur opérationnelle.
Selon Le Témoin, aucun de ces avions n’a été exploité commercialement à ce jour. Deux d’entre eux sont immobilisés depuis plus de deux ans dans les hangars de l’aéroport militaire de Yoff. La raison ? Aucun pilote ni technicien de la compagnie n’a été formé à leur utilisation. Même l’armée de l’air, sollicitée pour combler cette lacune, n’a pas pu mettre les appareils en service.
Un troisième avion, bien que livré, n’a toujours pas été réceptionné pour des raisons techniques, tandis que les deux autres sont encore attendus. L’incertitude demeure sur leur arrivée, leur état et leur pertinence dans la stratégie de la compagnie.
Le quotidien sénégalais décrit un processus d’achat marqué par l’opacité et l’impréparation. « Aucun cadre technique ou commercial d’Air Sénégal n’a été impliqué dans les négociations à Prague. Aucune étude préalable de rentabilité, de maintenance ou d’intégration à la flotte n’a été menée », affirme Le Témoin. L’acquisition s’est déroulée sans consultation des spécialistes de la compagnie ni des opérateurs de terrain, ce qui laisse supposer une décision purement politique, détachée de toute logique commerciale.
En février 2024, une réunion de crise est convoquée à la hâte pour organiser la réception des avions. Mais cette rencontre, selon les sources du journal, a surtout mis en lumière « l’impréparation et l’absence totale de stratégie commerciale ».
Cette affaire intervient alors que le réseau domestique d’Air Sénégal peine à trouver un équilibre, notamment la ligne Dakar–Saint-Louis. Les vols, trop souvent déficitaires, sont parfois opérés à vide ou avec très peu de passagers, ce qui alourdit les pertes d’exploitation. La compagnie, au lieu de se recentrer sur la rentabilité, semble plombée par des décisions lourdes de conséquences.
Face à ce que certains qualifient déjà de fiasco d’État, le Premier ministre Ousmane Sonko a ordonné un audit approfondi, dénonçant un « achat précipité et injustifié d’avions inutilisables ». Il s’agit, selon lui, de faire la lumière sur les responsabilités, tant politiques qu’administratives, ayant conduit à cette impasse.
L’Inspection générale d’État (IGE) a été saisie et a commencé ses investigations, avec pour objectif de déterminer les conditions de passation du contrat, l’éventuelle implication de responsables politiques et la légalité des décaissements.
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