La justice sénégalaise, longtemps perçue comme le pilier de l’État de droit, a vu son prestige s’éroder au fil des régimes, en particulier durant les deux dernières décennies. Invitée de l’émission Objection ce dimanche sur Sud FM, Dior Fall Sow, première femme procureur du Sénégal et figure emblématique du droit, a dressé un bilan sévère de la trajectoire judiciaire du pays sous les présidences d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall.
Selon elle, c’est à partir de l’arrivée au pouvoir des libéraux, en 2000, que la justice sénégalaise a entamé un lent déclin. « Il faut reconnaître que les deux dernières présidences ont été marquées par énormément de problèmes. Cela m’a beaucoup choquée et peinée », confie la magistrate à la retraite. Elle déplore une justice dégradée, à la fois dans son fonctionnement et dans la perception qu’en ont les citoyens. « Ce qui faisait mal, c’est de constater non seulement la perte d’estime des gens envers la justice, mais aussi le désamour profond entre cette institution et ses justiciables. »
Dior Fall Sow, également fondatrice de l’Association des juristes sénégalaises (AJS), contraste cet affaissement avec l’époque des pionniers du droit sénégalais. Elle cite avec nostalgie les premières années de l’indépendance, marquées selon elle par un profond respect entre les pouvoirs exécutif et judiciaire. « À l’époque de Senghor et Mamadou Dia, il n’y avait pas d’infiltration de l’Exécutif. C’était une justice respectée, avec des figures comme Isaac Forster, Kéba Mbaye ou encore Ousmane Camara. »
Elle reconnaît que sous Abdou Diouf, malgré quelques dérives en fin de mandat, la justice restait globalement crédible. Mais la rupture, selon elle, s’est véritablement produite avec les présidents Wade et Sall : « C’est à partir de 2000 que la justice a commencé à perdre son lustre. »
Malgré ce tableau sombre, l’ex-procureure veut croire à une amélioration. « Ce qui est important aujourd’hui, c’est que les magistrats continuent à faire leur travail. On est en train de redorer le blason de la justice », conclut-elle, non sans espoir.
AMYNA PAYE
SENEGO