- La construction historique d’une destination touristique
Le Sénégal s’est imposé comme une destination touristique majeure en Afrique de l’Ouest dès l’indépendance, avec un développement initial centré sur le tourisme balnéaire international. Entre 1960 et 2000, les arrivées de touristes ont quasiment quadruplé, représentant près de 10% de la valeur globale du commerce extérieur du pays . Cette croissance s’est appuyée sur :
- Une politique étatique volontariste avec la création d’organismes spécialisés comme la SAPCO SA (Société d’aménagement touristique des côtes et zones touristiques) et l’ASPT (Agence Sénégalaise de Promotion Touristique)
- Le développement d’infrastructures hôtelières sur le littoral, notamment dans la Petite-Côte (Saly Portudal) et en Casamance (Cap Skirring)
- L’image du Sénégal comme « porte ouverte de l’Afrique », mettant en avant la « Téranga » (hospitalité légendaire)
Cependant, ce modèle centré sur le tourisme de masse balnéaire montre aujourd’hui ses limites face à la concurrence régionale (Mauritanie, Cap-Vert, Gambie) et aux changements des attentes touristiques .
- Les pratiques touristiques des Sénégalais : une approche « vue de l’intérieur »
Cette analyse offre un éclairage précieux sur les mobilités touristiques des Sénégalais à l’intérieur de leur propre pays, rompant avec une vision « européanocentrée » du tourisme . Cette cambrure met en évidence :
- L’articulation complexe entre travail, vacances et tourisme: Les salariés sénégalais développent des stratégies pour négocier leur droit aux congés, influencées par des valeurs d’altruisme et de maintien des liens familiaux. Des prix résidentiels doivent être fixés pour permettre aux sénégalais lambda de découvrir et couvrir les sites.
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Le rôle des « autrui » significatifs: La pratique touristique locale est façonnée par les regards croisés des touristes occidentaux, de la diaspora et des pairs, contribuant à une réinvention de l’image du Sénégal par les Sénégalais eux-mêmes.
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L’impact des événements religieux: Le Magal de Touba, grand pèlerinage mouride, génère des flux touristiques internes importants et participe à la construction d’une identité touristique nationale .
Cette approche sociologique révèle comment les Sénégalais « se mettent à la place des voyageurs » pour redécouvrir leur propre pays, créant ainsi un nouveau rapport à la nation .
- Les défis contemporains et la recherche d’un nouveau modèle
Face aux limites du modèle balnéaire traditionnel (vieillissement des infrastructures, image négative de Saly Portudal, concurrence internationale), le Sénégal cherche à diversifier son offre touristique :
- Transition vers l’écotourisme: Plusieurs études plaident pour le développement de formes alternatives de tourisme durable, mettant en valeur les parcs nationaux, les mangroves du Saloum ou les forêts de Casamance .
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Décentralisation touristique : Le référentiel Vision Sénégal 2050 vise à rééquilibrer l’activité sur l’ensemble du territoire, au-delà des seules zones littorales .
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Valorisation du patrimoine culturel: Le tourisme culturel (Gorée, Saint-Louis) et les festivals gagnent en importance dans la stratégie nationale .
- Les enjeux sociologiques du tourisme au Sénégal
L’analyse sociologique du tourisme sénégalais révèle plusieurs tensions fondamentales :
- Entre mondialisation et authenticité : Comme le note Cousin et Réau dans leur ouvrage sur la sociologie du tourisme, le secteur est tiraillé entre standardisation internationale et recherche d’authenticité locale .
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Entre développement économique et impacts sociaux : Le tourisme génère près de 100 000 emplois (6% du PIB), mais pose des questions sur la paupérisation des populations locales et l’accès inégal aux bénéfices .
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Entre image internationale et perceptions locales : La « Téranga », érigée en valeur nationale et slogan publicitaire, fait l’objet de réappropriations et de contestations dans les pratiques réelles .
Conclusion : Vers une sociologie postcoloniale du tourisme sénégalais
L’étude sociologique du tourisme au Sénégal invite à dépasser les approches binaires (locaux/touristes, tradition/modernité) pour saisir la complexité des circulations, des regards croisés et des réappropriations identitaires. Les travaux récents, ouvrent la voie à une sociologie « décentrée » qui prend au sérieux les pratiques et représentations des acteurs locaux, tout en les situant dans les dynamiques globales du tourisme international.
Le défi pour la recherche future sera d’articuler ces différentes échelles d’analyse, alors que le Sénégal poursuit SA quête d’une « nouvelle identité » touristique, entre héritage colonial, influences globales et innovations locales.
Dr Boubacar Fall
Psychosociologue
Analyste des Relations internationales et Géostratégique