Le dernier classement mondial de la liberté de la presse, publié ce vendredi par Reporters sans frontières (RSF), met en lumière une menace croissante et insidieuse : la précarité économique des médias. Selon l’édition 2025 du rapport, ce facteur pèse désormais autant que la censure ou la répression dans la dégradation de la liberté d’informer.
« La principale menace à la liberté de la presse n’est plus seulement la violence ou la censure : c’est la fragilité économique des médias », a déclaré Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF. Confrontés à une baisse des revenus, à une concurrence accrue des plateformes numériques et à des pressions politiques, de nombreux médias se retrouvent piégés entre leur survie financière et leur mission d’information indépendante.
Le rapport de RSF révèle que dans 160 des 180 pays évalués, les médias peinent à assurer leur stabilité financière. Pire encore, dans un tiers de ces pays, les rédactions ferment régulièrement. Le cas de l’Argentine, qui perd 21 places, ou de la Tunisie, en recul de 11 rangs, illustre cette tendance inquiétante. Même des pays historiquement bien classés, comme les États-Unis, enregistrent un recul, désormais à la 57e place.
Anne Bocandé, directrice éditoriale de RSF, alerte : « Sans indépendance économique, il n’y a pas de presse libre. La quête d’audience à tout prix remplace progressivement l’exigence de qualité. » Elle appelle à une réforme en profondeur du modèle économique des médias, insistant sur le besoin de financements stables et de régulations transparentes.
Sur le continent africain, la situation est tout aussi préoccupante. En plus de la précarité économique, les médias doivent faire face à des pressions politiques, à une faible régulation et à une concentration de la propriété médiatique entre les mains d’acteurs proches du pouvoir ou du secteur privé. Résultat : les journalistes sont souvent contraints à l’autocensure, voire à l’exil.
Le Sénégal, cependant, se distingue par une progression notable. Il grimpe de 20 places dans le classement 2025 pour se positionner au 74e rang mondial et à la 15e place en Afrique. Ce progrès s’explique en partie par les réformes engagées récemment pour mieux protéger les journalistes et renforcer la régulation du secteur. Dans l’espace CEDEAO, le Sénégal occupe désormais le 7e rang.
« Ces avancées sont encourageantes, mais elles doivent s’accompagner d’un véritable plan d’appui économique aux organes de presse », nuance Sadibou Marong. Il rappelle qu’à défaut de moyens financiers, les médias resteront vulnérables aux influences et à la désinformation.
Autre constat majeur du rapport : les géants du numérique captent une part écrasante des recettes publicitaires, privant les médias traditionnels d’une ressource vitale. En 2024, les dépenses publicitaires sur les plateformes ont atteint 247,3 milliards de dollars, en hausse de 14 % par rapport à l’année précédente. Cette dynamique accentue la fragilisation des médias d’information, déjà en perte de vitesse.
Anne Bocandé appelle à des politiques publiques robustes pour inverser cette spirale : « Il faut réguler les plateformes, redistribuer équitablement les revenus publicitaires et mettre en place des mécanismes d’aide transparents. »
Le score moyen mondial tombe pour la première fois sous les 55 points, signalant une bascule dans la zone « difficile ». Plus de 112 pays voient leur note reculer, et dans 42 d’entre eux – représentant plus de la moitié de la population mondiale – la situation est jugée « très grave ».
Sadibou Marong en appelle à une mobilisation globale : « Il faut repenser en profondeur le modèle économique des médias, renforcer leur protection juridique et garantir un accès équitable aux financements. Défendre la presse aujourd’hui, c’est défendre la démocratie et le droit à une information libre et fiable. »
RM.
